Posté le 15 janvier 2024
La Cour de Cassation aux termes de deux arrêts rendus en assemblée plénière le 22 décembre 2023 modifie sensiblement sa jurisprudence en matière de recevabilité de la preuve déloyale / illicite.
L’article 226-1 du code pénal dispose:
« Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui :
1° En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;
2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé. »
Ainsi, il est interdit d’enregistrer/filmer à son insue une personne y compris dans un but probatoire.
De même, l’article L1222-4 du code du travail dispose:
« Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance. »
La Cour de Cassation précise de longue date que la preuve doit être loyale. Toutefois, la preuve illicite en soit n’a pas nécessairement à être écartée.
La Cour de Cassation précise que la preuve illicite (vidéo surveillance non déclarée par exemple) n’a pas nécessairement à être écartée si l’employeur ne dispose pas d’un autre moyen pour établir les faits qu’il revendique. (soc 8 mars 2023).
Il sagit du principe de proportion. La liberté individuelle ne devant pas s’opposer au droit à la preuve.
La Cour de Cassation selon arrêt rendu en assemblée plénière précise:
« il y a lieu de considérer désormais que, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi »
En l’occurence, la Cour de Cassation valide une vidéo enregistrée par un employeur prise à l’insue d’un salarié pour valider/justifier le licenciement du salarié. La Cour de Cassation estime que le juge du fond doit rechercher si finalement l’employeur dispose d’un autre moyen de preuve. Dans l’affirmative, la vidéo/enregistrement doit être écarté, dans la négative l’enregistrement doit être retenu.
Cette décision a un impact fort:
A/ Pour les petites structures spécialement lorsque l’entreprise comprend peu de salarié, l’enregistrement peut devenir un mode de preuve classique.
B/ Pour les salariés enregistrer l’employeur à son insu va devenir là régle.
Toute cela pose le problème de la relation employeur / salarié l’un ou l’autre pouvant avoir la crainte permanente d’être enregistré…
L’enregistrement pourra de même être réalisé lors de l’entretien préalable. Etant rappelé qu’à la suite de l’entretien préalable, l’employeur doit réfléchir pendant 48 heures avant de notifier sa décision, il sera absolument nécessaire que l’employeur ne donne aucune décision lors de l’entretien, au risque d’être enregistré et que le licenciement soit alors verbal et donc sans cause réelle et sérieuse.
La Cour de Cassation selon arrêt du 10 Juillet 2024 n°23-14900 donne une illustration de ce principe.
Dans l’espèce concernée un salarié se plaignait de harcèlement moral de la part de l’employeur. Pour démontrer les faits reprochés, il avait communiqué sur la procédure des enregistrements audio de l’employeur permettant d’établir les faits reprochés.
L’entreprise avait soulevé le caractère illicite de l’enregistrement, lequel aurait dû être écarté.
La Cour de Cassation estime que la Cour d’Appel qui avait écarté l’enregistrement clandestin aurait dû vérifier si le salarié avait d’autres moyens pour établir les faits reprochés à l’employeur.
La Cour de Cassation rappelle le principe de subsidiarité, la juridiction du fond devant par exemple rechercher si le salarié aurait pu pour établir les faits communiquer des attestations de salariés ou anciens salariés de l’entreprise.